Article intialement publié sur mon blog Palo-Alto-et-Compagnie le 16 septembre 2014
Les Mathématiques comme source d’inspiration … du changement humain !
Comment, dans les relations humaines, les impasses apparaissent-elles ? Qu’est-ce qui fait que, souvent, nos tentatives de provoquer un changement ne font que nous emmurer dans un jeu sans fin ? Les chercheurs de l’Ecole Palo Alto se sont inspirés de deux branches des Mathématiques : la théorie des groupes et la théorie des types logiques. Ils ont mis en lumière deux « types de changements ». Il y a 40 ans déjà, ce petit livre : Changements paradoxes et psychothérapie, résumaient leurs découvertes.

La logique du changement selon les mathématiques
J’ai eu envie de revisiter ces concepts avec une analogie ludique : celle du Rubik’s cube ! Soit 27 petits cubes de couleur reliés entre eux par des liens fixes ou mobiles.
Le Rubik’s cube suit les propriétés de la théorie des groupes :
- Dans la théorie des groupes : toute opération entre éléments du groupe – ici toute permutation des cubes du Rubik’s cube – donne un résultat qui appartient au groupe Rubik’s cube.
- La séquence et le nombre des opérations peuvent être modifiés, le résultat des permutations donne encore un Rubik’s cube.
- Pour toute opération dans un sens, il existe une opération symétrique qui remet les cubes comme initialement, càd inchangés (il suffit d’effectuer la manœuvre dans le sens inverse)
Ce qui est fascinant, c’est que ces 3 propriétés des groupes se transposent dans le domaine des relations interpersonnelles :
- Dans les relations humaines, au sein d’un groupe, la plupart des changements tentés par les personnes sont des changements qui maintiennent la structure de ces relations, même en cas d’impasse. Un exemple que j’ai rencontré dans une entreprise : des clients se sont plaints de dysfonctionnements, des dossiers sont en retard, voire perdus. Le patron décide que ça doit changer : il veut contrôler davantage ce qui se passe. Et il cherche donc à mettre en place des indicateurs sur les plaintes clients et sur les dossiers, tandis que les salariés, eux, se plaignent de lourdeur et d’inutilité de tableaux fastidieux à remplir, ce qui ralentit leur travail. Et les clients continuent de se plaindre de lenteur…le résultat est similaire.
- L’exemple de certaines rivalités caricaturales entre frères et sœurs est illustratif : la séquence et le nombre des échanges peuvent être modifiés, le résultat des disputes suit toujours le même schéma ! D’autant que souvent, chacun considère que « c’est l’autre qui a commencé » ! Chacun voit son comportement comme une réaction au comportement de l’autre, tandis que l’autre considère cette réaction comme un stimulus entraînant une « simple » réaction de sa part. La séquence, la durée et le motif des interactions importent peu, le résultat lui reste identique à l’intérieur du même cadre !
- C’est l’exemple de l’adulte qui intervient avec bon sens pour séparer les protagonistes… qui s’empressent de recommencer dès que possible, selon leur scenario habituel. Opération sans impact !
Aucune rotation sur un Rubik’s cube ne peut donner autre chose qu’un Rubik’s cube avec les mêmes structures reliant les petits cubes ! Ça revient à « faire plus de la même chose » !! L’école Palo Alto l’appelle changement de type 1.
Le changement de logique : une solution à nos problèmes !
L’analogie s’arrête ici : D’habitude, on résout le Rubik’s cube en lui donnant sa configuration « parfaite », les bleus avec les bleus, les rouges avec les rouges… Une norme de ce que devrait être ce groupe de 27 petits cubes, en quelque sorte.
Ce qui n’est absolument pas le cas dans l’approche de Palo Alto : elle est non-normative ! Car « elle ne repose pas sur une croyance qu’il existe une « normalité ultime » dont les thérapeutes auraient le secret. »

Le changement qui change tout : le changement type 2
C’est ici que le changement de niveau logique intervient : on change les règles du jeu ou bien… on invente un nouveau jeu !
Bienvenue dans le monde du changement de type 2 : le changement qui change la structure du groupe en totalité et en profondeur.
Pour faire cela, le changement de type 2 ne peut venir que de l’extérieur du groupe! C’est un changement qui modifie le cadre de référence du groupe. Tiens, tiens, comme pour le recadrage selon Tom Sawyer ?


Reprenons les exemples précédents :
- Pour faire face aux plaintes des clients, le patron a eu l’idée de faire appel à un intervenant extérieur. Au départ, il voulait établir de meilleurs reportings, avec des indicateurs plus fiables. Ce qui correspondait à « plus de la même chose », un changement de type1 ! Puis enfin, il admit de tester quelque chose de différent : laisser les salariés concernés identifier comment mieux satisfaire les clients et résoudre les problèmes de flux de dossiers. Grâce à l’intervention extérieure, ce sont les relations entre le patron et ses salariés qui ont changé de structure ! Et ce sont les salariés qui ont mis en place des indicateurs, et qui proposent chaque mois des actions qu’ils entreprennent ensuite pour améliorer la satisfaction de leurs clients. (Pour un exemple similaire, lire l’excellente anecdote donnée par Emmanuelle Piquet dans son interview !).
- Et pour les rivalités entre frères&sœurs ? J’ai rencontré une mère qui m’a raconté ceci : ses deux fils se battaient souvent et en venaient très souvent aux mains. Une fois, ça avait fini à l’hôpital. A chaque fois, elle tentait de les séparer, de sermonner, de punir, mais les bagarres continuaient. Une fois qu’elle était en train de faire du bricolage, elle entendit une Nième dispute qui dégénérait. Prise de « grande lassitude », elle sortit avec les outils qu’elle avait dans les mains, un marteau et de la colle. Quand elle arriva dans la chambre, elle attendit un instant, ne sachant pas quoi dire dans cette tenue inhabituelle, ses deux fils s’arrêtèrent, interdits de la voir ainsi. C’est alors qu’elle leur tendit le marteau et la colle « Frappez-vous avec ça, ce sera plus efficace ». Elle dit avoir vécu un instant suspendu de confusion, et ensuite tous ont éclaté de rire. Ces deux frères-là n’en sont plus jamais venus aux mains. Par cette intervention, elle avait changé les règles du jeu par surprise, recadré leur bagarre en amplifiant la situation jusqu’à l’absurdité, remplacé le schéma récurrent « vous ne devez pas vous battre » en « vous pouvez… » et remplacé le système de relations basé sur la rivalité en une sorte de complicité.
Les interactions humaines sont certainement complexes ! Heureusement, grâce à plus de 60 ans de recherche sur l’approche stratégique Palo Alto, il existe des pédagogies qui aident à construire ces interventions de type 2 de façon limpide. Pour un peu (et avec de longues heures de pratique), ce serait un « jeu d’enfant ».
Beaucoup moins casse-tête que le Rubik’s cube en tout cas !!
